September 6, 2024

Réinventer la cité Africaine par l’apprentissage et la transmission de savoirs localement pertinents

Written by:
Yanick Kemayou

L’invention de la ville, lieu d’échange, de créativité et d’innovation par excellence, peut être considérée comme une des réalisations majeures de notre espèce. Tant la planète est marquée par les dynamiques urbaines que certains voient en la ville, même plus qu’en la sédentarisation de l’Homo Sapiens ou le capital, l’élément caractéristique d’une nouvelle ère. Il était une fois l’holocène ; exit l’anthropo-capitalocène. Bienvenue dans l’urbanocène, le règne de la ville-reine. L’urbanisation galopante de la planète illustre ce triomphe de la ville. Cela est particulièrement visible sur le continent Africain qui compte chaque année 24 millions de néo-citadins, affluant vers des villes qui comptent parmi les plus polluées de la planète. Il est évident que le futur de notre espèce est menacé par les modes de vies liés à l’urbanisation comme aujourd’hui vécue. Le fragile équilibre des espèces, nécessaire à la vie sous la forme que nous connaissons, est menacé par une urbanisation autant énergivore que prédatrice. Rassurons-nous, nous avons beau faire disparaître des espèces toutes entières ou faire fondre des banquises et glaciers, mais nous ne détruirons probablement pas la planète. Du mal que nous lui infligeons, elle s’en remettra d’ici quelques millions d’années. La question est de savoir si nous nous en remettrons.

Les 24 millions d’Africains quittant chaque année les villages pour les villes le font dans la noble quête d’une vie décente. Il s’agit donc moins (d’essayer) de stopper l’urbanisation que de trouver des alternatives résilientes et durables aux modes de vie basés sur l’exploitation intensive de ressources fossiles en système fermé. Cela permettrait de transformer les mouvements d’urbanisations des villes Africaines de cette « ruée incohérente des masses rurales vers les cités » que prédisait Frantz Fanon en une aventure d’émancipation humaine ; de réconcilier Tanga Sud et Tanga Nord, Fort-Nègre et sa soi-disant brousse ; en somme de dépasser la ville cruelle pour faire advenir la ville humaine. Tel est le défi de l’Afrique et ses peuples appelés à faire et inspirer une autre urbanisation.

Le récit technologique de la ville actuelle est confronté à la problématique de la singularité en temps fini. La croissance superexponentielle, qui sous-tend la confiance en un progrès illimité, finit par mener à cette situation singulière où il y a un besoin infini en ressource à une date finie.¹ Évident qu’il soit compliqué de faire tenir de l’infini dans du fini. La croyance en cette croissance apparemment infinie est attisée par l’absence relative de rétro-inhibition. En d’autres termes, il y a une carence de forces rivales pouvant influer sur l’idéal de croissance sans fin dominant actuellement notre modèle technologique. Plusieurs facteurs portent à croire qu’il serait possible de trouver ces forces dans des cités Africaines réinventées. L’équilibre entre la rétro-activitation et la rétro-inhibition, nécessaire pour tout progrès soutenable, est au centre de nombreuses Weltanschauungen Africaines comme la philosophie Vaudoue ou la cosmologie Dogon ; tout comme la haute technologie qui se retrouve aussi dans ces systèmes de pensée. Par exemple, depuis que le mathématicien Norbert Wiener, pionnier de la cybernétique, énonça la possibilité technologique de la téléportation ², plusieurs chercheurs ont pu téléporter des atomes, même si cela reste à l’échelle d’états quantiques. Le même débat sur la téléportation existe dans certaines contrées Africaines depuis fort longtemps… En outre, la géomancie Ouest-Africaine est, depuis des travaux comme ceux de Ron Eglash, reconnue être à l’origine du code binaire, qui est lui-même la base de l’informatique !³ Dans nos ordinateurs et autres matériels de haute technologie, il n’y a donc pas juste du cobalt congolais mai aussi du savoir Bamanan.

L’Afrique a donc une partition à orchestrer dans la recherche globale de solutions technologiquement innovantes pour mieux vivre ensemble. Mais les trop nombreux points de tension sur le continent ou les marques d’une urbanisation au rabais que sont les Agbogbloshie et autres Kibera nous montrent que la cité Africaine a besoin de soins critiques. C’est-à-dire des soins urgents et fortement nécessaires pour éviter le pire, qui n’est heureusement jamais sûr. Mais aussi des soins critiques en ce qu’ils remettent en question les idées reçues.⁴

La cité Africaine a donc besoin de soins critiques. Et il est vrai que la cité n’est autre chose que son peuple. Mais qu’est le peuple sans ses savoir-être et savoir-faire ? La rupture de l’accumulation et la transmission des savoirs qu’a connue et connaît l’Afrique est donc une dimension cruciale pour penser et faire les villes Africaines. Les applications et autres produits de la EdTech sont certainement nécessaires pour mieux comprendre les processus mais s’approcher de la complexité reste le défi à relever. Un des possibles prometteurs pour saisir la complexité de la réconciliation du village et de la ville est donc de redéfinir les processus d’accumulation et de transmission des savoirs. Telle est la démarche du réseau Kabakoo et de ses lieux de savoir qui mettent l’étonnement comme moment premier de la connaissance au centre de l’apprentissage. Les Maisons de l’Étonnement sont des espaces d’apprentissage construits écologiquement avec des techniques et matériaux locaux et positionnés aux confluents de systèmes de savoirs endogènes, technologies de pointe, soutenabilité et innovations pédagogiques. Cette approche permet d’avoir des résultats probants en peu de temps comme le montrent l’évaluation du centre pilote à Bamako. En moins de 10 mois d’apprentissage, les apprenants ont développé la première plateforme citoyenne de mesure de la qualité de l’air en Afrique d’Ouest et conçu puis construit des solutions pour le recyclage de déchets.

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