Pourquoi la communauté Kabakooise s’engage dans la production de masques en tissu?
Les makers, apprenant.es, et volontaires engagé.es dans l’initiative lancée par Kabakoo pour lutter contre le covid-19 en contextes africains s’activent sur plusieurs fronts, y compris la production de masque en mobilisant des tailleurs et couturières. Ces derniers jours, nous avons fait un intense travail de plaidoyer auprès de diverses autorités sur le port généralisé du masque au Mali. Pourquoi?
Oui nous avons des membres de la communauté Kabakoo qui travaille, comme des centaines ou même des milliers de makers à travers le monde sur des respirateurs open-source, oui nous avons des Kabakoois qui travaillent sur des solutions imprimées en 3D. Mais nous avons aussi des Kabakoois travaillant sur des solutions relativement low-tech comme des masques cousus. Kabakoo étant un lieu mettant l’accent autant sur les high-tech que sur les low-tech pour produire des solutions localement pertinentes, travailler sur une chaîne logistique pour la production de masque était naturel.
Et Effectivement une aiguille et du fil sont aussi importantes que nos imprimantes 3D, micro-controlleurs et autres. Car force est de constater que pendant que tous les projets de respirateurs à travers le monde n’ont pas dépassé l’étape de prototype, des fois très primitifs, les masques eux sont bien nécessaires, opérationnels, et très utiles dans la lutte contre le covid-19.
À Kabakoo, nous sommes conscient.e.s des recommandations de l’OMS qui ne préconise pas le port de masque pour le grand public, manifestement pour les très bonnes raisons de limiter la pénurie de masques et ne pas donner l’illusion d’une fausse sécurité aux porteurs/teuses de masque. Comme toute recommandation, celle-ci sont basées sur des prémisses qu’il importe d’identifier pour mieux en faire sens.
Pour faire sens des recommandations de l’OMS, il nous faut donc considérer ses prémisses. Et dans le cas des recommandations de l’OMS sur le port ou non de masque, la prémisse majeure semble bien clair, à savoir la possibilité de distinguer les infecté.e.s et les non-infecté.e.s.
Faire sens de ces recommandations au Mali et plus généralement dans les pays Africains avec des capacités de test, au mieux, extrêmement réduites, appelle donc à se demander dans quelle mesure nous pouvons distinguer les infecté.e.s des non-infecté.e.s. Si nous postulons que la possibilité de distinguer les infecté.e.s et les non-infecté.e.s. est extrêmement réduite dans le contexte primant, par exemple, au Mali, il faudrait donc peut-être encourager le port de masque au grand public comme l’ont déjà fait plusieurs autorités dans divers pays.
L’Autriche, par exemple, a déjà rendu le port de masque obligatoire dans les supermarchés (lien ORF). La République Tchèque et la Slovaquie ont elles aussi rendu obligatoire le port du masque dans l’espace public (lien The Guardian). En Allemagne, la ville de Jena fait de même (lien Die Zeit). Par ailleurs, la Société Allemande d’Hygiène Médicale (Deutschen Gesellschaft für Krankenhaushygiene, DGHK) à travers le porte-parole de son bureau exécutif a d’ailleurs clairement communiqué que le port de masque en tissus participe même à la protection et incite les particuliers à coudre des masques en tissus dans la Osnabrücker Zeitung (lien SWP). Car “mieux vaut un masque textile de production inhabituelle que pas de masque du tout” (“besser eine textile Maske aus Extraherstellung als überhaupt keine Maske”). Même si l’institution reste contre l’obligation du port de masque dans un souci de réserver tous les stocks possibles au personnel médical (lien Tagesschau).
Le ministre fédéral allemand de la santé a d’ailleurs clairement communiqué qu’il est du côté du port du masque mais ne compte pas en faire une obligation car il se rend compte que la population, dans un élan de solidarité mutuelle, le fait déjà. De plus, un groupe citoyen volontaire à Munich confectionne des masques en tissu pour la clinique publique bavaroise “Dritter Ordern” (lien Süddeutsche Zeitung). En France, l’Académie de Médecine juge qu’un masque « grand public »devrait être rendu obligatoire.
Au vu de cela, il nous paraît par ces temps d’incertitudes d’assumer la position selon laquelle le pire n’est jamais sûr et de promouvoir le port du masque. Surtout dans des environnements où la vie en confinement va être presque impossible à mener (voir les commentaires du président béninois sur l'impossibilité du confinement au Bénin; une réflexion qui s’applique très certainement au Mali). Si la distanciation physique est impossible à mettre en place dans les marchés, les Sotramas, les grins…, alors le port généralisé de masque peut être considéré comme un des gestes barrières tout comme le lavage des mains et les autres règles d’hygiènes.
Les activités de sensibilisation devraient donc mettre l’accent sur le fait que tout le monde est potentiellement un/e porteur/euse du virus et mettre l’accent sur la solidarité de protéger les autres. Cela pourrait permettre de promouvoir le port du masque en limitant l’illusion d’une fausse protection. Car il serait clair pour le public que le port du masque est un acte posé pour protéger sa famille, son grin, son voisinage, et non pour se protéger soi-même. Un discours qui devrait a priori parler à la société malienne vue l’importance de la famille et des lien sociaux.
Sans faire fi des limites des approches culturalistes, cette dimension culturelle du débat sur le port du masque en public est en prendre en compte et pourrait expliquer les différences constatées à travers le monde. En effet, on peut observer que dans les espaces comme la Chine continentale, Taiwan, Japon et autres sociétés dites collectivistes (voir e.g. les travaux de Hofstede ou ceux del’étude GLOBE), le port du masque pour protéger les autres est plus accepté. En outre, il est possible que l’idée de la nécessité de montrer son visage découvert dans l’espace public explique pourquoi le port du masque généralisé rencontre une opposition latente dans les démocraties occidentales (voir le débat de la BBC et du South China Morning Post). Tous ces éléments nous permettent de mieux faire sens des recommandations de l’OMS pour mieux agir dans un contexte comme celui du Mali.
La discussion semble être bien résumée par le titre cet article récemment paru dans l’hebdomadaire allemand Die Zeit: “Besser jetzt eine Maske als nie”. Il vaut mieux un masque maintenant que jamais.
A Kabakoo nous avons donc encourager nos apprenant.e.s à s’investir dans la production de masques. Et nous sommes fiers de savoir que cette équipe ont déjà des commandes de plusieurs milliers de masques. Une activité qui soutient l'artisanat local en apportant des revenus aux couturières et tailleurs dont l'activité est fortement ralentie à cause de la pandémie. Merci à toutes les belle âmes qui nous accompagnent! #OnFaitEnsemble